[ Shhh... Quiet you might piss somebody off )

\ La température allait avec la période de la journée : il faisait froid, il faisait nuit. A chaque inspiration et expiration, une volute de buée blanchâtre s'exhalait des narines de la jeune Cholly, exécutant une danse légère mais éphémère qui disparaissait ensuite vers les hauteurs du ciel, comme si elle s'auto-dissolvait. Cette même buée qui fait s'exclamer les enfants d'un air sur-excité << Regarde ! Je suis un dragon ! >> ou encore << T'as vu je fume ! >>. Le regard cyclope de la lune observait les moindres faits et gestes de Cholly avec une attention toute maternelle. La demoiselle aux longs cheveux ondulant dans son dos et sur ses épaules était assise sur un banc, ses mains blanches et fines fourrées dans les poches de son manteau noir. Elle appréciait particulièrement l'atmosphère qui régnait dans le parc désert où une rosée délicate commençait déjà à se déposer sur les pelouses vertes.

Les écouteurs de son I-Pod étaient fixés à ses oreilles et diffusaient une musique endiablée dans sa tête. Musique faite de guitares, de batterie et d'une voix particulièrement éraillée qui lui plaisait d'une manière presque démesurée. La jeune femme ferma les yeux, savourant le moment /

Of course ;]

\ Alors qu'une guitare criait à s'en déchirer les cordes, la batterie de son I-Pod rendit l'âme. Ce brusque passage d'un bruit déchaîné à un silence plat surpris Cholly qui rouvrit les yeux, une lueur exaspérée s'allumant dans ses yeux soupoudrés d'éclats verdoyants. D'un geste vif et rapide elle ôta les écouteurs de ses oreilles et rangea le tout dans une poche de son manteau, ne prenant pas la peine d'enrouler les fils de l'appareil autour de ce dernier, ce qui lui coûtera plus tard, un long moment à essayer de défaire le noeud qui résultera de sa flemmardise... Que voulez-vous, quand on est d'un naturel bordélique, il est très difficile de le soigner.

C'est alors que ses pupilles furent attirées par un mouvement sur sa gauche. Au loin, quelqu'un s'avançait en sa direction. D'après la démarche de l'individu il s'agissait d'un énergumène de sexe masculin : ce balancement si particulier des épaules et du buste ne pouvait qu'appartenir à celui d'un homme. Cholly sortit alors son portable afin de consulter l'heure : 21h56. Brusquement, un cri étouffé se fit entendre. Alarmée, Cholly releva la tête et vit arriver derrière Nate un homme à la démarche incertaine et titubante qui brandissait son poing serré en l'air... Aparemment, il ne s'agissait pas d'un ami à lui, vu l'air agressif qu'il prenait tout en s'approchant de lui... /

\ La scène se déroulant trop loin pour qu'elle puisse en distinguer tous les détails, Cholly pouvait cependant en voir le déroulement assez clairement. Par exemple, le brusque mouvement vers l'arrière de Nate lui indiquait que ce dernier venait d'esquiver un coup. La demoiselle observait les deux hommes, non avec la satisfaction vicieuse d'assister aux premières loges à un combat, mais plutôt avec la lassitude qu'il lui procurait. Elle n'avait jamais vraiment été attirée par la violence, ainsi, quand elle était plus petite, dès qu'une "baston" se déclarait dans la cour de récréation, elle levait les yeux au ciel devant la masse d'enfants que celà captivait. Seule petite différence entre les batailles d'enfants et celle qui s'enchaînait sous ses yeux : les petits gamins étaient devenus des grandes personnes et leur seul public c'était elle.

L'ivrogne semblait insister, il attaqua plusieurs fois, mais étant donné son état, il ne devait pas être trop difficile pour l'autre homme de parer ses coups. Vint le moment où le dipsomane aperçut Cholly. Il l'observa quelques instants. Il était trop éloigné pour qu'elle puisse le voir, mais elle devinait la gourmandise malsaine avec laquelle il devait la dévorer des yeux. La demoiselle resta immobile, tandis que l'autre oubliait déjà son adversaire et se dirigeait vers elle /

\ Gagnée par un agacement inquiet, la jeune Cholly avait regardé l'homme soûl se diriger vers elle sans vraiment savoir comment réagir, mais l'autre inconnu lui épargna l'effort de devoir se lever afin de reculer et de s'enfuir car déjà il aparaissait derrière l'inquiétant bonhomme et le retenait par l'épaule avant de lui décocher un violent coup porté à la mâchoire. Si Nate n'avait pas été là, quitte à paraître troussarde, Cholly aurait détalé, sans chercher à défier le buveur... Elle savait parfaitement que l'alcool pouvait très facilement rendre un homme -ou une femme- dangereux(se) et qu'à côté d'un alcoolique elle n'avait aucune chance de sortir gagnante d'un affrontement, quelque soit sa nature : oral ou physique. Au moment où l'homme tombait à terre K.O, la demoiselle se leva, quittant le banc sur lequel elle était assis précédemment.

A présent, elle voyait plus clairement le visage du "coq" vainqueur, que des ombres dûes à la faible luminosité de l'endroit rendaient assez mystérieux. Il avait de beaux traits et des membres bien proportionnés, un bel homme. Mais ce ne fut pas ce détail pour le moment mineur qui lui fit répondre d'une voix rendue un peu rauque par l'évènement mais cependant teintée d'une reconaissance non feinte, à sa question.

<< Et vous ? >> Après tout, elle, n'avait rien eut à faire, c'était surtout de lui qu'il fallait s'inquiéter. En tout cas d'après Cholly /

\ La jeune créature n'accorda pas même un regard à la masse ronflante et sale qui se trouvait à quelques mètres d'eux, trop dégoûtée par le personnage pour daigner le laisser encore apparaître à sa vue.

<< Etrangement, je ne m'attendris pas sur ses douleurs futures... >> Dit-elle, sa voix ayant retrouvé son aplomb naturel. Son timbre était redevenu celui habituel : un mélange raffiné de détermination et d'effronterie où pointait une très légère touche d'insolence.

Il devait être aux alentours de 22h15, elle ne prit pas la peine de vérifier sur son portable, mais elle estimait que l'épisode de l'ivrogne avait duré une bonne quinzaine de minutes. Bien qu'elle n'éprouvât aucune espèce de fatigue dûe au besoin vital de repos, elle reprit :

<< Je réside à l'Hôtel situé à quelques rues d'ici... >> Dit-elle, commençant déjà à sortir les clés de sa chambre, de la poche de son manteau. En plongeant la main dans le petit espace creux pour y attraper la matière froide des clés, elle avait également senti le noeud causé par les fils de son I-Pod... Et celui-ci avait l'air particulièrement long et fastifieux à défaire... Elle soupira doucement /

\ Et non, Cholly n'était pas une de ces poupées au cerveau superflu, dénuées de toute personnalité, pour lesquelles la vie ne se résumait qu'à la drague et dont les ambitions les plus importantes se réduisaient à faire saliver d'envie tous les individus de sexe masculin qu'elles rencontraient au cours de leur pauvre existence inutile. Non, Cholly valait beaucoup plus que ça. Ladite créature décela dans le sourire discret de l'homme un air conscient qui lui fit déduire qu'il reconaissait la clé qu'elle tenait à la main et qui arborait le #6. Logeaient-ils au même hôtel ? La coïncidence était étrange voire même poussée, mais la vie réservait parfois de grandes surprises aux êtres qui en jouissaient.

Dâmoiselle adressa un léger signe de tête à Nate, afin de lui signifier qu'elle n'avait aucun problème, majeur en tout cas. Tandis qu'elle suivait les pas résolus de Nate vers la sortie du parc, elle en profita pour s'affairer au démêlage de noeud, ses sourcils finement froncés /

\ Le puissant pouvoir du tabac, Cholly l'avait connu elle aussi... Lorsque Nate sortit de sa poche le paquet de cigarettes, une déferlée de lointains souvenirs innonda son esprit quelques instants, la faisant cesser de tricoter vainement avec les fils de ses écouteurs... C'était à l'âge de 14 ans que Cholly avait fumé sa première cigarette, à l'âge de 14 ans qu'elle tomba dans l'engrenage mortel, poussée par l'influence de sa mère fumeuse. Mais elle arrêta brusquement suite à la mort de son meilleur ami, Etienne. D'autres personnes qui auraient été dans la même situation qu'elle, auraient sombré dans une dépression alimentée par la nicotine et l'alcool mais pas Cholly. La dépression, elle l'avait également vécue mais cette dernière n'était pas basée sur les drogues... Pour l'unique raison qu'Etienne détestait la voir fumer. Elle se rappelait ses regards emplis de reproches quand elle portait un mégot à sa bouche, ou ses sourcils froncés dès qu'elle sortait un paquet de cigarettes, comme venait actuellement de le faire Nate.

La demoiselle détourna ses yeux qui brillaient peut-être un peu trop sous les lampadaires sans classe, du paquet que tenait le jeune homme dans la main et rangea son I-pod dans sa poche, encore plus emmêlé qu'avant. La question que lui posa Nate l'extirpa de son éphémère moment d'absence et c'est avec une voix où perçait une légère amertume qu'elle répondit.

<< Cholly... Et vous ? >> Elle ne prit pas la peine de préciser son nom de famille, car elle jugeait qu'il serait inutile pour Nate de le connaître /

\ Ce n'était pas de la réserve qui rendait Cholly assez distante avec les gens qu'elle rencontrait pour la première fois, mais plutôt une certaine méfiance incontrôlée... En effet, elle éprouvait une inquiétude obsessionelle de s'attacher d'une manière trop forte aux individus qui l'entouraient pour les perdre ensuite, comme ça lui était déjà arrivé dans son adolescence. Au long regard que lui lança Nate avant de lui dévoiler son nom, elle comprit immédiatement qu'il était conscient de son attitude assez impartiale, peut-être même en était-il agacé voire vexé. Durant l'échange visuel, les yeux de la demoiselle s'étaient emboîtés dans ceux ténébreux de Nate, l'impérissable flammèche cynique luisant au fond de ces derniers... Cette même lueur qui exaspérait tant ses professeurs quand elle leur répondait après s'être prise une remarque désobligeante de leur part. Ceci dit, ce miroitement imbibé d'une insolence farouche, Cholly ne le contrôlait plus. Il était devenu naturel, habituel.

<< Non. Je crois même avoir empiré la chose >> Déclara-t-elle avant de sortir l'objet de sa poche. L'I-Pod parlait de lui-même, un noeud monstrueux c'était formé suite à son manque de soins et de ses mouvements impatients des doigts qui étaient à présent froids, attaqués par la morsure cruelle du froid /

\ Au loin commençait à se découper l'immense carcasse de l'Hôtel, qui ressortait du bleu presque noir du ciel nocturne chargé de nuages, ce qui rendait l'atmosphère lourde et pesante en plus des basses températures qui s'étaient approprié New York depuis le début de l'hiver. Il ne leur restait plus qu'une centaine de mètres à parcourir avant d'atteindre leur destination finale. Cholly contempla un instant le bâtiment imposant dans lequel Nate et elle résidaient puis en détourna ses yeux pour les reposer sur un Nate penché au-dessus de son I-Pod, concentré dans sa tâche. Cette image lui arracha un petit sourire qui ne resta cependant pas longtemps imprégné sur ses lèvres.

<< Non. Je ne suis ici que depuis quelques jours >>

Cholly désigna ensuite d'un mouvement de la tête l'édifice dont ils se rapprochaient.

<< C'est cet Hôtel là >> /